Le voyage

Le voyage

Vendredi 28 novembre 2014

Nous avons pris le train de 17h30… à 17h29 ! En effet, nous étions bien à l’heure à la gare, mais nous sommes perdus de vue dans les escaliers et chacun cherchant l’autre nous avons bien failli le manquer !

Première étape la Celle Saint Cloud, car les avions pour le Nouveau Monde partent essentiellement le matin et il vaut mieux partir de Paris pour être sûr d’être dans les temps.

Premier inventaire des choses oubliées : 1. La paire de lunettes de lecture de Martine. Il faudra faire avec ou plutôt sans. Revenir les chercher est quasi impossible. Elle rachètera une paire de secours (la onzième, c’est une vraie collection) dans une pharmacie.

Dans ce voyage, le programme de lecture est important. La nuit tombe tôt et les soirées sont longues. Personnellement, je compte faire une provision de livres québécois en arrivant à Montréal, car cela me permet de m’imprégner encore plus dans le nouvel environnement. En attendant, dans le train je suis plutôt en Afrique avec des histoires racontées par Albert Schweitzer.

Côté Journal de bord, j'innove en utilisant la tablette à la place du traditionnel cahier Clair Fontaine. Je vais gagner le temps de la retranscription sur l’ordinateur pour pouvoir publier nos aventures plus rapidement. Dans le cahier, le stylo permet plus de nuances, mais comme les textes sont remis en format numérique, ces nuances ne sont pas conservées. Le cahier pourra toujours prendre le relais en cas de panne de batterie ou si l'envie me prenait de ressortir le stylo.

Pendant le trajet pour Paris, nous ne sommes pas encore déconnectés de notre travail. Martine a le nez sur un écran qui lui parle de toxicologie.

Dans la plateforme inter-wagons, j'ai pu donner un coup de fil à Kientzheim. Les grands voyages n'ont jamais été aux programmes de Grand-maman et elle ne demande rien de plus que de pouvoir profiter de sa maison. Elle continue de regretter de ne plus pouvoir travailler ses vignes et dit n'être plus bonne à rien. Quand je lui dis qu'elle a assez travaillé et que c'est au tour des autres, cela ne la satisfait pas...

Samedi 29 novembre 2014

10h. Nous sommes assis dans l'avion pour Montréal. Le pilote nous donne quelques informations sur le vol qui se fera à une altitude de 40 000 pieds, soit 12 500 m. Son bel accent québécois nous donne un avant-goût de la Belle Province.

Levés à 6h30, nous n'avons pas encore eu le temps de petit déjeuner. A l'aéroport, il a fallu enchaîner les files d'attente du comptoir d'accueil pour remettre le gros sac, de la douane, du contrôle des bagages à main, de l'embarquement, de l'accès à l'avion. Tous ces contrôles sont assez fastidieux. On se demande comment il y a encore des clients pour l'avion sur les distances plus courtes, que le train peut assumer. Au contrôle des bagages à main, on nous a prélevé plusieurs flacons de toilette. Dommage que l'information ne soit pas donnée au moment où on remet les valises dans la soute. Si au moins tous ces produits arrêtés étaient utilisés par d’autres ! Mais non, tout est détruit, c’est désolant…

Dans l’avion nous sommes assis dans la rangée du milieu et n'avons pas accès aux hublots. Je vais faire une suggestion aux avionneurs : installer une caméra extérieure qui pourrait retransmettre la vue du paysage pour ces places centrales. Nous apercevons quand même quelques éléments à travers les épaules de nos voisins.

Des agglomérats de points blancs représentent les petits villages au nord de la région parisienne. De grandes zones de champs les séparent.

Après une petite sieste, nous voici maintenant dans les nuages. D'après l'écran, nous sommes déjà au dessus de la mer au nord d’Ouessant. Il fait -56° dehors.

Le Canada au début de l’hiver

Le Canada en hiver fait rêver à de grandes étendues enneigées sur lesquelles on glisse avec des skis de fond ou encore debout derrière un traîneau à chiens. Mais début décembre, la réalité est un peu différente. La neige n'est pas encore tombée suffisamment pour blanchir le paysage même si le froid est déjà mordant pour le visage. Notre programme d'activités n'est pas encore arrêté. L'objectif principal est de voir Vincent qui aura deux weekends pour nous accompagner. Nous comptons bien aussi revoir nos amis Marc et Marie-Céline. Mais notre truc à nous, ce sont les grands parcs canadiens. Le Parc National du Mont Tremblant est le plus proche de Montréal. Nous y avons campé en été il y a 4 ans. Cette fois ci, il n'est pas question de camper. Mais une cabane (chauffée…) au bord d'un lac ferait bien notre affaire. Avec des ours noirs qui passeraient devant la terrasse de temps en temps, pas trop vite pour pouvoir bien les prendre en photo (en fait ça semble difficile attendu que l'ours se met à hiverner en novembre ou en décembre. Mais nous aurons peut-être la chance d’en voir un qui s y prépare.)

Découvrir de nouvelles choses va être le challenge de ces prochains jours. Nous connaissons déjà bien le Québec pour y avoir vécu et y être revenu déjà plusieurs fois. Mais le retour s'est toujours fait en été, typiquement en louant une voiture à l'aéroport et en faisant un grand tour de parc en parc.

L’écran au dossier de chaque siège affiche les caractéristiques du vol. Aujourd'hui, la vitesse n'est plus aussi décisive qu’avant. Les trains comme les TGV roulent moins vite qu'il y a 10 ans. Un Paris-Nantes se faisait en 2 h. Aujourd'hui il faut rajouter un quart d'heure. Pour les avions, c'est un peu pareil. Fini le Concorde et les quelques 3 heures pour traverser l'Atlantique. Il y 30 ans, il fallait 6 h pour faire un Nantes Montréal sur un avion de ligne classique. Aujourd'hui il faut rajouter une heure à ce temps de trajet. Sur l'écran devant moi, la vitesse annoncée est de 753 km/h, bien moins qu'avant quand la vitesse voisinait avec les 900 ou 1000 km/h. Et c'est tant mieux pour la planète. Gagner une heure sur ce temps de trajet ne compense pas les inconvénients du gaspillage énergétique requis. Qui veut aller vite, consomme beaucoup plus. Aujourd'hui, il vaut mieux partager avec les autres humains les énergies disponibles de façon raisonnable.

Nous survolons une zone de turbulences. Mais personne ne semble inquiet. Je ne pense pas que nous soyons en danger sur cette ligne avec la météo clémente d’aujourd’hui. …mais notre airbus A330 vole maintenant à une vitesse de 650 km/h à une altitude de 11580 m. Nous nous trouvons au sud-est du Labrador. La vitesse ralentit toujours. Peut-être que l’avion a des difficultés et qu’il va amerrir, que nous allons sauter dans le toboggan avec un gilet gonflable. Et que nous trouverons refuge sur un iceberg à la dérive qui nous servira d île en attendant que les concurrents de la route du rhum repassent par là pour nous ramener sur la terre ferme.

Non, ouf, déjà l'avion reprend de la vitesse, la zone de turbulence doit être derrière nous. Tant pis pour le petit tour dans l'eau.

J'ai encore oublié d'emporter des instruments de musique. Une guitare non, mais une flûte aurait encore trouvé une petite place dans mon sac.

Nous avons chacun un gros sac ou une valise et un petit sac. Le gros sac de voyage dans les soutes de l'avion. Le petit sac est perché au-dessus de notre tête. Nous avons 16 kg chacun sur les 23 kg autorisés dans notre gros sac. Cette marge pourra être utile pour le retour, si nous trouvons une peau d'ours ou d'autres objets encombrants et lourds à ramener en France pour poser sous le sapin de Noël.

Le décalage horaire est de 6 h entre la France et le Québec. Il faudra gérer ce décalage. La journée va être longue. Ce soir à 20 h à Montréal, notre horloge interne affichera 2 h du matin. Et à 22 h, il sera 4 h du matin. Comme je ne suis pas un oiseau de nuit, je risque de ne pas avoir une super grande forme ce soir.

Le continent américain se rapproche. Nous allons bientôt survoler Terre Neuve. Les réacteurs frémissent. La vitesse est remontée à 716km/h. Il nous reste encore 2 bonnes heures avant d'arriver à destination.

Le Canada représente toujours de grandes étendues avec peu de population, des terres qui resteraient à coloniser. Bien sûr, pour l'agriculture, il n’y a pas les mêmes potentiels qu'en France. L'hiver plus rude contraint à une adaptation. Le maïs est une production qui profite des grandes surfaces. Un blé de 100 jours réussit aussi à arriver à maturité. Mais il ne faut pas chercher de vignes ici. L'élevage existe aussi, mais le bétail doit être rentré à l'abri en hiver.

Avec le réchauffement climatique, les potentiels pourraient évoluer et permettre au Canada de faire pousser des plantes réservées aux pays plus au sud. Côté navigation, le passage maritime par le nord du Canada est aussi d'actualité. Il permettra de réduire les coûts du transport de marchandises entre le nord de l'atlantique et le nord du pacifique, c'est à dire entre l'Europe et l'Asie de l’est, le Japon, la Chine, la Corée, toute une révolution à venir. Mais ces bénéfices apparents ne doivent pas faire oublier les catastrophes qui les accompagneront dans les pays du sud…

Nous profitons de la baisse du prix du pétrole pour ce voyage. La production mondiale est plus importante, les pays producteurs ne forment plus une grande unité pour s'entendre sur les prix et la demande est moins importante du fait de la réduction de pouvoir d'achat. Le marché de l’offre et de la demande a réduit le prix du pétrole. Cette bonne nouvelle peut aussi avoir des effets pervers sur les efforts pour la réduction des efforts contre le gaspillage énergétique. Les améliorations de l'isolation des bâtiments vont être moins rentables si les économies attendues sont moins importantes. Ceci dit, dans cette équation, la réduction du pouvoir d'achat constitue à elle seule un frein au gaspillage énergétique. La sensibilité aux programmes de réduction de la pollution est en place et les tendances ne pourront pas être inversées

763km/h. L'avion s'emballe. Peut-être un horaire d'arrivée à respecter et une envie d'arriver à l'écurie. Le panneau affiche un horaire d'arrivée en retard d'un quart d'heure. Je soupçonne le pilote de s'être endormi tout à l'heure et de vouloir à rattraper le retard maintenant.

Nous survolons Terre Neuve. Saint John est à notre sud. Encore 2h avant d'atterrir. L'air se réchauffe déjà. Moins 47°. On peut déjà enlever une couche de vêtements.

Nous n'avons pas gardé de contact avec les canadiens que nous avons connus pendant nos deux années de vie au Canada. Plusieurs déménagements nous ont fait perdre nos adresses. En 1991, nous avions retrouvé une famille avec qui nous avions échange des gardes d'enfants. Nous gardions de temps en temps leur garçon et eux ont gardé Vincent. Nous avions fini par sympathiser et avons partagé de bons moments autour de la table. Sur la fin de notre séjour, ils avaient acheté une vieille maison sur la rive sud. Nous sommes allés leur rendre visite. Une nouvelle vie commençait pour eux.

Quand nous avons repris contact avec eux en 1991, ils étaient malheureusement en train de se séparer. Nous avons rencontré Robert avec son fils que nous avons retrouvé dans un café en centre ville. Puis ils sont venus nous rejoindre dans le chalet que nous avons loué. Les bons moments étaient ponctués par des flashs sur les difficultés du couple.

J'avais aussi sympathisé avec un collègue de boulot qui s'appelait Émile. Il nous avait invités chez lui et il était venu dîner à l'appartement. Mais je l'ai complètement perdu de vue. Et puis une collègue Francine. J'avais ses coordonnées. Pareil, nous sommes allés chez eux et ils sont venus à la maison.

A cette époque, internet n'existait pas encore. Pour communiquer, il y avait le téléphone. Mais c'était cher et réservé aux messages d'urgence et pas pour papoter et échanger de simples nouvelles.

Il y avait aussi le courrier postal. Mais les Canadiens n’y font guère confiance. Elle est lente. Le courrier peut mettre trois ou quatre semaines pour traverser l’océan. Alors presque personne n'envoie de courrier par la poste.

Aujourd'hui avec internet, les photos numériques, il est tellement simple de se tenir au courant quelle que soit la distance, que j'ai l'impression de parler d'une époque du lointain passé sans rapport avec notre actualité, où la communication est hyper facilitée avec le courriel qui est gratuit quelque soit la distance. Le courriel est vraiment une révolution énorme dans la relation entre les personnes. Les dernières outils de communication tels quel les communications instantanées ne sont que des améliorations du courrier électronique.

Une dernière collation avant l’arrivée nous attend. Les messages sont diffusés en français avec l'accent québécois, puis en anglais. Les plateaux ne sont pas gastronomiques… nettement en dessous de la qualité des prestations que nous avons connues auparavant. Air Transat doit être la compagnie bas coût de Air Canada. La sécurité est là, mais pas les couverts en argenterie que nous avons pu connaître il y a 35 ans.

Il n'y a plus de doute. L'avion s'est perdu au-dessus de la mer. Je n'ai jamais vu une entrée sur le Canada aussi au sud sous la pointe de la Gaspésie et au sud de la ville de Québec. D'habitude le plan de vol passe plutôt au dessus du lac Saint Jean. Le pilote a dû s'endormir et le vaisseau de dériver vers les mers du Sud. La courbe sur l'écran indique un point d'inflexion. Et les turbines des réacteurs ont été mises en marche forcée pour rattraper le retard pris. 779 km/h au compteur.

Pendant que j'écris, le sablier de la charge de la batterie diminue. Je suis à 12% de charge. Il faudra que la tablette trouve une prise pour me permettre de continuer à raconter nos aventures. Vincent devrait pouvoir nous offrir cela dans son appartement montréalais.

Ce n'est pas la première fois qu'il nous héberge. Il nous a déjà reçu à Berlin et m'a déjà hébergé à Paris. Comme quoi, ça sert à quelque chose d'avoir des enfants. Thomas nous avait aussi hébergés quand nous sommes allés le voir à Marseille et à Leipzig. Ces hébergements hors circuit hôtelier nous avaient aussi permis de nous imprégner dans le milieu, dans l'environnement je veux dire.

Vincent est en colocation avec deux autres jeunes, un garçon français et une jeune Belge.

Il se trouve que le premier est en déplacement à Chicago jusqu'à mercredi et qu'il peut nous laissez sa chambre. Nous voilà donc logé avec la possibilité de voir Vincent facilement pendant notre voyage.

Nous remplissons les formalités comme tous les passagers. Il y a un temps où nous avions le visa d'immigration, qui nous permettait de rester sur le sol canadien aussi longtemps que nous le souhaitions. En quittant le Canada en 1983 après 2 années de vie canadienne, je pense que nous avons perdu les droits liés à ce visa. De toute façon, cela ne nous aurait pas servi. Et si un jour l'envie nous prenait de passer une longue période au Canada, peut-être que la présence de notre fils Vincent qui est Franco-canadien nous facilitera les formalités.

Nous sommes à 20 mn de l'atterrissage. L'ambiance change. La température extérieure annoncée au sol est de -4°. Nous sommes contents d'avoir emmené un tas de vêtements chauds qui nous permettront d'affronter les grands froids. A Nantes, il faisait encore +19° hier, le choc thermique avant le choc des civilisations !



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